À peine dévoilé qu'on voyait déjà en lui une star. The Artful Escape se sera comporté comme tel depuis qu'on l'a découvert, un beau jour de 2017. Pas foutu de monter sur scène dans les temps, il n'aura toutefois pas dégouté les curieux. Et encore heureux, parce que son entrée et le show proposé sont à un niveau galactique.
La petite ville de Calypso est en ébullition. Cela fait 20 ans que Johnson Vendetti, l'enfant du pays, a sorti Pines, son Magnum Opus. Presque autant de temps que l'endroit (sur)vit sur l'héritage de ce chanteur folk légendaire aux allures de Bob Dylan. Mais cette fois, il faut faire une fête à la hauteur du mythe, avec l'aide de sa lignée. Plus authentique. En l'occurrence, c'est sur Francis, son neveu et portrait craché, que repose l'espoir de faire perdurer son style. Interpréter les chansons de ce parent qu'il n'a même pas connu pour faire larmoyer le public ? Un fardeau. D'autant plus lourd à porter que Francis, derrière son look de binoclard trop sage et trop timide, a d'autres aspirations. Ce qu'il veut, c'est faire du rock. Du rock épique. Du rock qui éclabousse l'auditoire de néon et de glamour. Il sent frétiller le moyen de s'y abandonner totalement, mais n'arrive à mettre le doigt sur le bon potentiomètre. Ça, c'était avant qu'un extra-terrestre ne l'emmène aux confins de la galaxie pour qu'il réalise son rêve. Pas celui des autres.
Hey hey, my my
Premier jeu de Beethoven & Dinosaur, studio fondé par le musicien australien Johnny Galvatron, The Artful Escape a d'abord pour vocation de raconter une histoire. Celle d'un gamin, d'un artiste, qui s'interroge sur celui qu'il veut être, qui cherche les paillettes, la célébrité, mais dont le potentiel semble entravé. Et il a choisi une voie toute tracée, pour le moins dirigiste, entre le visual novel et le walking simulator. Son allure de platformer 2D fait place en réalité à de longues minutes à se déplacer sans aucune difficulté, aucune pénalité. Il propose d'empoigner la guitare électrique de Francis, en maintenant simplement le bouton X du pad, soit pour rythmer votre marche à coups de riffs plaintifs et harmonieux, soit pour faire un bœuf qui ouvrira la suite de l'aventure. Ces phases se présentent précisément comme des parties de Simon - des séquences de touches à réaliser dans l'ordre montré par le décor ou une créature mélomane. Et donc, The Artful Escape a pour vocation de vous raconter une histoire. Une histoire aussi amusante que profondément pertinente, faite de rencontres uniques, de la recherche d'un avatar qui définira notre Francis. Un voyage extraordinaire et excentrique comme a dû en vivre David Bowie au moment de créer Ziggy Stardust.
Ziggy jouait de la guitare
Vous avez le terme sur le bout de langue mais n'arrivez pas à le retrouver. Allez, on vous aide : psychédélique. C'est ce qui définit le mieux The Artful Escape. Un vrai trip sous acide. Sans acide. Juste un écran et, on vous le souhaite, un bon casque. Une fois les première minutes automnales, un peu mornes et décourageantes (et encore, merci le chien pour sa présence), dans les rues de Calypso, la suite n'est qu'un déferlement de couleurs pétantes, de formes aliens inconnues mais jamais menaçantes, de plantes qui s'ouvrent sur notre passage, de lumières poppant sous nos santiags et qui rendent la vie à des souterrains ténébreux. C'est rond, éblouissant, doux. Lorsque vous avancez dans The Artful Escape, vous avez l'impression d'évoluer sur la couverture d'un album de Cream ou de The Jimi Hendrix Experience.
Une expérience, tiens, voilà très précisément ce que l'on vit alors que l'on entre dans un nouvel environnement comme on entre sur scène, fumigènes compris. Alors que l'on fend le ciel sur une estrade virtuelle pour faire pleurer sa gratte sur des synthés rieurs. Alors que l'on fait éclater tous les feux d'artifices d'un étrange village forestier. Alors qu'un insecte géant nous accompagne dans une ascension mélodique euphorisante. La direction artistique arrive toujours à nous épater, se mariant à merveille avec ce protagoniste dégingandé, régulièrement réduit à l'état de fourmi lorsque les panoramas de science-fiction décident de s'imposer. Par une alliance solide comme le roc(k) du son et de la lumière, on se trouve régulièrement dans un état proche de la transe. On sent et on goûte les sons. On est le Heavy Metal, le Glam, l'Acid. C'est beau et magique.
The Rise and Fall of Francis Vendetti
Alors oui, en tant que joueur, on pourra lui faire des reproches. L'équilibre ludique penche en sa défaveur et il est possible, question d'affinités, de ne pas goûter son refus de faire parler notre dextérité manette en mains. L'absence de difficulté sur les boeufs - vous pouvez prendre votre temps, les phases sont très courtes, au pire il faut presser trois boutons en même temps - en fera hurler. Une fois encore, son gameplay n'interfère en rien avec ses intentions et sa narration - très bien soutenue par un casting stratosphérique (Michael Johnston, Carl Weathers, Jason Schwartzman, Mark Strong, Lena Headey...). On vous propose de suivre un parcours de légende, avec ce qu'il comporte de hauts et de bas, de satisfactions et de doutes. De forger cette légende. Sachez d'ailleurs, et cela fait partie du jeu de la rockstar venue d'ailleurs, qu'on vous demandera parfois de choisir le background de votre persona, durant des scènes assez hilarantes, et qu'il vous reviendra de lui faire adopter le look que vous désirez.
Autant que les choses soient claires : avec The Artful Escape, vous venez avant tout pour un spectacle. Un trip introspectif unique d'environ 3 heures, aux musiques fabuleuses, épique, envoûtant, sauvage, respectueux du genre et des gens auxquels il rend hommage avec tant de brio. Un OVNI qui a l'air de n'avoir aucun sens, mais se révèle une sublime lettre d'amour adressée au Rock, à vivre sans stress, juste le strass.